Conversation avec Maroua Aïkous, conseillère en évaluation d’impact
Maroua Aïkous est conseillère en évaluation d’impact chez Credo.
Elle est l’une de ces personnes que l’on qualifie de solaires qui nous mettent le sourire aux lèvres au quotidien. Dotée d’une oreille attentive, Maroua est une personne vers qui les membres de l’équipe Credo aime se tourner pour discuter. En raison de son amour des mots et de son esprit critique, c’est aussi souvent à elle que l’on fait appel pour relire et bonifier les livrables. Maroua est une personne engagée qui a à cœur de s’impliquer pour l’éducation et la lutte contre les inégalités systémiques.
Nous avons eu envie, le temps d’une conversation, de mettre les projecteurs sur elle et l’écouter se raconter.
Rencontre.
Peux-tu nous parler des moments marquants de ton parcours?
Je me sens être un patchwork de toutes mes expériences de vie, chacune d’elles ayant contribué à forger mon identité et à me construire en tant que personne. Je suis de nature très curieuse et en raison de ma positionnalité, j’ai eu très tôt conscience des enjeux socio-économiques qui régissent nos sociétés. Plus jeune, je me sentais en colère et j’avais soif de justice sociale. J’ai appris à prendre ma place dans un environnement qui pouvait m’être hostile et j’ai toujours considéré le savoir et la recherche de connaissances comme une force considérable. J’ai aussi eu la chance de correspondre au moule du système scolaire, ce qui m’a poussé à poursuivre mes études. Je voulais apprendre pour contrer l’injustice et cultiver mon agentivité. Enfant, j’étais persuadée que je deviendrais avocate, avant de réaliser qu’étudier le droit ne m’intéressait pas réellement. Je me suis ensuite découvert un grand intérêt pour les sciences sociales et économiques, car elles me permettaient de mieux comprendre la société et ses systèmes.
À 17 ans, j’ai mené, avec une camarade, un projet d’étude sur les cas de conscience (conscience minimale, coma, état végétatif, locked-in syndrome) et les enjeux éthiques qu’ils impliquent. Nous l’avions présenté au Comité Consultatif National d’Éthique à Paris, et je suis tombée en amour avec la recherche scientifique. Soutenue par mon goût pour les mathématiques, j’ai ensuite obtenu un BAC en Économie Quantitative puis une maîtrise en Analyse et Politique Économique. C’est la recherche qui m’a conduite à Montréal.
Par la suite, j’ai estimé que ma formation ne m’avait pas suffisamment permis d’explorer les notions du « développement durable », alors j’ai fait un DESS dans ce domaine pour approfondir mes connaissances. Finalement, après avoir travaillé dans le milieu académique, j'ai souhaité explorer le monde de l'entreprise afin d’être plus proche des acteurs de l'écosystème.
Qu’est ce qui t’a donné envie de t’orienter vers l’impact social?
Lorsque j’ai découvert l’économétrie, la branche de la science économique qui vise à estimer les modèles économiques, j’ai été fascinée par l’idée de pouvoir tester statistiquement une hypothèse pour la vérifier. Dans la vie, je suis grandement guidée par mon système de valeurs, et j’ai une forte propension à rechercher des preuves scientifiques pour appuyer mes croyances et ma perception de la vérité. Je me questionne naturellement sur le sens des choses, les « pourquoi » et les « comment ». Je suis confortée par les chiffres et les données. L’économétrie m’a offert un outil pour nourrir ce besoin et m’a ouvert la porte vers l’évaluation d’impact pendant ma maîtrise.
J’ai commencé par étudier l’impact économique, et j’ai mené une recherche qui m’a passionnée avec un chercheur de l’Université Laval afin de mieux comprendre l’effet des politiques publiques sur l’aménagement du territoire (disponible en ligne). Par la suite, je me suis davantage concentrée sur des questions environnementales avant de me tourner vers l’impact social, fondamentalement parce que la justice sociale a une grande place dans mes réflexions et mes valeurs.
Peux-tu nous parler d’une réalisation que tu as eue sur l’impact social au travers de ton parcours?
Parfois, la notion d’impact est mal comprise. Pour l’anecdote, un de mes professeurs de philosophie fronçait les sourcils à chaque mention du mot « impact », parce qu’il le définissait comme “un choc, un trou laissé par un projectile”. Plus tard, une définition algébrique m’a permis de me réconcilier avec ce terme. Par essence, mesurer un impact, c’est évaluer la différence pour un résultat donné entre un groupe de contrôle et un groupe de traitement. L’impact en soi est neutre, contrairement à son association souvent positive. Reconnaître les effets négatifs d’une organisation est essentiel pour avoir une vue globale et réaliste. D’ailleurs, les effets négatifs identifiés servent de levier pour des améliorations. En plus de cela, il est important de réaliser que les enjeux sociaux sont interconnectés et enracinés dans les structures et normes sociales, d’où l’intérêt de traiter les éléments d’un système dans leur ensemble. L’approche systémique est ainsi particulièrement pertinente pour l’impact social, puisqu’elle permet d’aborder des enjeux complexes de manière holistique et de générer des changements profonds.
Tu as accompagné plusieurs organisations dans leur démarche d’impact. Peux-tu nous en parler?
En tant que conseillère en évaluation d’impact, j’accompagne des organisations à définir un cadre d’évaluation et à mesurer leur impact. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est l’approche de proximité et de confiance que nous développons avec nos clients, afin d’être en mesure de capter la profondeur et la portée de leurs activités. C’est d’autant plus important que le déploiement du cadre d’évaluation doit pouvoir s’adapter à leur réalité et en tenir compte, sans quoi il ne peut être pleinement actionnable. Mener une évaluation d’impact peut être chronophage et ardu, mais cela permet de démontrer les réalisations concrètes, mettre en lumière les efforts déployés et guider les décisions futures. C’est une démarche d'amélioration continue, et en tant que conseillère j'apprends moi-même constamment des organisations que nous accompagnons.
Y a-t-il des causes, des secteurs ou des enjeux sociétaux qui te tiennent particulièrement à cœur?
Comme mentionné précédemment, j’ai un fort intérêt pour la justice sociale. Je m’intéresse notamment aux enjeux liés à l’intersectionnalité et aux inégalités systémiques et structurelles qui peuvent limiter l'accès aux ressources, aux services, à l'éducation, à l'emploi et à la participation citoyenne. J’ai grandi en France, dans un quartier prolétaire où la plupart des travailleurs sont ouvriers dans une usine automobile. En France, seulement 4% des diplômés de maîtrise sont enfants d'ouvriers d’après l’INSEE (l'équivalent de Statistiques Canada). Cette statistique fait grandement écho à mon expérience. J’ai de l’aversion pour les discours méritocratiques et je me sens pleinement impliquée dans la lutte pour l’accès à l’éducation et contre les inégalités systémiques. Plus globalement, le sexisme, le racisme et l’homophobie sont les trois grands maux que je combats presque quotidiennement en partageant autour de moi des outils d’éducation et de sensibilisation.
Y a-t-il des œuvres qui t’ont marquées et que tu aimerais nous recommander?
La chanson « Banlieusards » de Kery James
En tant que fan de rap français, je vous recommande d’écouter cette chanson qui aborde divers thèmes sociaux et politiques. Elle traite des réalités vécues par les habitants des banlieues françaises, confrontés à des défis économiques, sociaux et culturels, et évoque les inégalités, la discrimination et les stéréotypes qu’ils subissent. C’est une critique sociale qui incite à la réflexion et à l'action pour un changement positif.
Le livre « Jouissance club : une cartographie du plaisir » de Jüne Pla
Étant également passionnée de sexologie, je vous recommande ce manuel d’éducation sexuelle inclusif, qui aborde la sexualité avec humour et sans complexe. Cet ouvrage lève les tabous et les idées reçues avec beaucoup de bienveillance.